At the bottom of this article, you will find the translation into the other working languages of the ILO.

Ma première discussion nocturne avec l’elfe de l’ILO, ILwenn [1] eut lieu peu après que mon fils nous eut infligé les 4 heures trente d’effets spéciaux indigestes du film néo-zélandais « Le seigneur des anneaux » de Peter Jackson. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, il s’agit d’un Marathon interminable où des héros différents, réunis par la circonstance passent leur temps à fuir des bestioles diverses …

Eprouvé que j’étais par cette logorrhée digitale, j’ai discrètement fermé les yeux devant l’écran qui captivait le petit, et j’en profitais pour repenser à l’étrangeté, qui me taraudait alors, du statut fiscal des fonctionnaires de l’OIT : comment, en effet, prétendre à la citoyenneté universelle, si c’est pour ne pas y contribuer à la mesure de nos moyens ? Féru de sciences politiques, j’avais en effet tellement bien assimilé citoyenneté à fiscalité que je ne pouvais envisager l’un sans l’autre.

« Ce que grâce m’a donné, laissez le lui passer » entendis-je alors…  et elle m’apparut : Dans toute sa gloire, de bleu et de blanc immaculé, ILwenn me parlait pour la première fois. 

« Mais comment, demandais-je à la dame, se peut-il : fonctionnaires nous-même, dévoués au commun, au progrès social, à la justice fiscale, nous en évitons la charge, pour celle qui nous pèse? »

Et elle de s’étonner « Dois-je tout vous décrire ? Ou vous trouver un marchepied ? En quoi avez-vous foi ? Il y a du bon dans ce monde, il faut se battre pour cela. Ce que vous faites déjà. »

J’ouvrais alors les yeux sur le générique de fin : mon fils, ravi, me disant que « c’était bien ».

Encore interloqué par cette révélation post-prandiale , je n’attendais pas une journée pour mener mon enquête…

Et c’est ainsi que j’obtins finalement la confirmation officielle, chers collègues, que si nous ne contribuons pas aux systèmes de solidarité nationaux, nous sommes en revanche les financeurs de trois grands systèmes de solidarité redistributive :

  1. Le premier de ces systèmes est notre caisse de santé, la CAPS, où chacun contribue selon ses moyens, et perçoit selon ses besoins. Dans ce régime mutualiste, on contribue selon le montant de son salaire et la conformation  de sa famille, et on reçoit selon l’état de sa santé ou celle de ses proches. Il en résulte une redistribution dont le détail m’est désormais connu : les jeunes et les cadres célibataires, surtout dans les pays riches, y financent en gros la santé des familles nombreuses, plus fréquentes dans les pays en développement, et des retraités, plus souvent consommateurs de soins. C’est aussi dans les pays où les systèmes de soins publics sont les moins structurés que la santé est la plus chère, car il y faut faire appel au secteur lucratif, forcément coûteux. Enfin, les évacuations sanitaires ont davantage lieu dans les pays émergents et tropicaux que dans les pays de l’OCDE…
  • Le second de ces systèmes est notre fonds de pension. On pourrait être étonné à première vue, puisqu’on l’imagine comme une épargne individuelle, mais ce n’est pas le cas… Tout d’abord, dans la mesure où il s’agit d’un système en prestations définies, l’engagement de payer une rente calculée à partir du salaire final reçu implique de faire peser le risque de la première non pas sur l’individu, mais sur la collectivité. Aux Etats-Unis par exemple, on a beaucoup parlé des fonds « 401K » qui sont des systèmes d’épargne retraite complémentaire en cotisations définies : les pertes des marchés induisent chez eux une perte directe pour le montant de l’épargne retraite des individus qui y adhèrent, et donc pour leur rente. Rien de tout cela avec notre système, qui doit donc être gouverné avec des normes prudentielles plus élevées, car l’argent qui y est géré est collectivisé, et les ressources qu’on en tire doivent assurer chaque retraite individuelle conformément à la formule de calcul préétablie, laquelle octroi un pourcentage du salaire « pensionnable »  final par année d’ancienneté (1,5% pour les 5 premières années, 1,75% pour les 5 suivantes, 2% pour les 25 suivantes, avant de retomber à 1% pour les dernières au-delà de 35 années de cotisation). Le risque est donc géré collectivement, et plutôt en faveur des salariés à carrière longue, le pic de « rentabilité » individuelle étant fixé aux alentours de 25 années d’ancienneté pour un départ à 65 ans avec une espérance de vie de 80 ans. A ce sujet, l’espérance de vie étant différente selon les genres, les générations, et les pays, il vaut mieux dans ce contexte être une fonctionnaire français né dans les années 70 qu’un fonctionnaire américain né dans les années 60…  Enfin, il ne faut pas oublier un élément de redistribution qu’à titre personnel je trouve contre-intuitif : avant 5 ans d’ancienneté, le fonctionnaire verse au fonds de pension des cotisations (salariales et patronales) pleines, comme les autres. Pourtant, s’il quitte la caisse avant le terme de ces 5 ans, il n’aura pas droit à pension et ne sera remboursé que de ses cotisations salariales, ses cotisations patronales étant alors définitivement acquise pour… le bénéfice de ceux qui sont restés.
  • Le troisième de ces systèmes s’assimile à un impôt sur le revenu est le plus caché. Et iI m’a fallu du temps pour le découvrir, mais saviez-vous que nous coutons en fait à nos membres ] 20% de plus que ce que nous sommes payés ? Cette somme est prélevée à la source, avant même d’apparaitre sur nos bulletins de salaire. Autant dire que pour nous ils n’existent pas : et pourtant ils tournent !  On les appelle les « staff assements », et ils ont été prélevés au bénéfice de l’organisation toute entière. J’ai pu vérifier que ce prélèvement forfaitaire, calculé sur notre revenu surbrut, correspond en fait et en montant à davantage que ce que j’aurais été amené à payer en France avec ce niveau de salaire, puisque j’aurais alors atteint le niveau de prélèvement marginal de 45% (c’est le plus élevé) de mon revenu net, soit en fait un peu moins des taux forfaitaires prélevés ici sur mon revenu total. Ces sommes servent à financer pour partie, les « à côté » de nos prises en charge, selon le profil de nos familles, nos retours aux foyers quand nous sommes en poste loin de chez nous, la dangerosité du poste, les études des enfants, les aides au logement ou à la sécurité, etc. Elles peuvent être aussi mobilisées en cas de lancement d’un programme d’urgence, comme celui qui fut lancé contre Ebola. Enfin, le résidu non consommé éventuel est reversé aux Etats membres, en fonction de leur côte-parts. Nous payons donc bien un quasi-impôt sur le revenu.

Ilwenn avait donc raison : en aidant la santé des familles nombreuses de mes collègues ayant plus charge d’âmes que moi, de ceux qui sont en poste dangereux, loin de chez eux, ou de nos aînés ayant par nécessité davantage recours aux médecins, en assurant le financement des éventuels rapatriements sanitaires ou des soins coûteux dispensés par une médecine privée dans des zones moins protégées que la mienne, en assumant avec les autres les pensions de retraites de nos aîné(e)s, et en contribuant au fonctionnement de notre organisation, notamment pour ses plans d’urgence, je fais, réellement, partie de « la communauté de l’ILO  ».


[1] Voir le texte d’introduction « le statut du personnel de l’OIT : Fuyez, pauvres fous ! »


English version (deepl): here

Spanish version (deepl): aquì

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *