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Confronté comme tout le personnel de l’OIT à l’actualité bien préoccupante de l’institution, je notais avec une angoisse croissante l’amoncellement des nuages sur notre activité, sur les négociations en cours (dont le propos, annoncé par la direction depuis décembre 2023, est d’aligner les conditions de travail) et sur l’avenir de notre « communauté ».
Sur notre activité, la remise en cause du règne de la loi (« rule of law »), de la cohésion par la négociation sociale, bref de tout ce pour quoi l’OIT a été constitué, en raison du retour des brutes au plus hauts sommets de certains de nos Etats membres, y compris les plus prestigieux, y compris les plus exemplaires, me décontenançait… De même, il faut bien le dire, que le manque de solidité apparente de l’édifice dans lequel je pensais avoir installé ma vie, mon énergie, et ma foi : la déception induite par l’attitude de chefs et de guides dont on peut parfois douter de la motivation, dont on découvre qu’ils feraient presque alliance avec l’ennemi pour sauver les meubles que justement ce dernier veut ostensiblement brûler… Tout cela me chamboulait.
Sur notre Communauté, « le poisson pourrissant par la tête » (Erasme[1]), le choc d’une telle actualité n’allait pas sans conséquence sur l’ambiance entre nous : qui était en danger ? Qui s’en sortirait ? Comment nos conditions de travail, l’organisation physique de nos bureaux, serait-elle affectée ? Qui devrait être solidaire de qui ? Les collègues sous contrats de coopération technique financés par des fonds américains, dont les activités en faveur de « l’inclusion », de la « diversité » ou des droits de la femme, jusque-là financés par USAID comme associé à la justice sociale, voyaient leur travail jeté aux orties. On leur promit de l’aide et de la protection, on appela à la solidarité des collègues sous budget régulier, mais cette dernière n’empêcha pas la terminaison des contrats des premiers. Puis ce furent les collègues sous Budget régulier établit à Genève qui furent menacés par les annonces de la présidence étatsunienne puis les projets de délocalisation de la direction… et les appels à la solidarité s’inversèrent : on demanda aux collègues sur le terrain, ou en budget de coopération technique, moins menacés ce coup-ci, de réfléchir aux éléments de leur rémunération qu’ils seraient prêts à sacrifier, pour une économie présentée comme impérieuse, mais sans garantie quant à l’usage des fonds préservés…
C’est l’esprit chargé de tout cela, chamboulé par l’application évidente à notre vieille maison de la « théorie du choc » (Naomie Klein[2]), qu’après la traditionnelle lecture du soir au fiston du deuxième tome du seigneur des anneaux je m’endormais, le cœur lourd…
- « Sarouman-le-blanc s’est retourné contre son œuvre » annonce Ilwenn, « il pactise avec le Mordor pour garder son pouvoir, et les hommes sont divisés. Le Rohan est affaibli par un roi sous emprise : son nouveau conseiller travaille pour Sauron…
- « Comment réagir ? Tout semble crouler autour de nous ! »
- « Tout ne croule pas, m’sieur Fraudon et en fin de compte, elle ne fait que passer, cette ombre. Même les ténèbres doivent passer. Un jour nouveau viendra et lorsque le soleil brillera, il n’en sera que plus éclatant. […] Il y a du bon en ce monde et il faut se battre pour ça. »[3]
Sorti de ce mauvais rêve, je dus le confronter au présent, et me dire qu’en effet, le pire n’est jamais sûr : la lutte est possible si les servants du « Rohan », notre royaume, restent unis. Ils disposent d’outils pour réveiller leur roi affaibli : le dialogue social, même en tenant compte des calculs de chacun, est constitutionnel à l’OIT. Nous disposons d’outils spécifiques à notre organisation pour cela : Le Syndicat bien sûr, et l’autre tour de notre gouvernance : les partenaires sociaux. Par le cycle des négociations en cours -entamées avant le retournement d’un Etat-membre « Sarouman » à la destinée jusque-là manifeste-, ils peuvent peser sur l’avenir. Par le JNC (joint nomination committee), nos représentants peuvent engager le personnel dans une démarche de co-construction d’une réponse nuancée et intelligente aux attaques d’un mage blanc (et roux) devenu fou de puissance. Par le recours au Review Panel, nous pouvons contester le manquement à la parole donnée par notre roi et ses représentants dans la planification des négociations actuelles. Enfin, par le tribunal de l’OIT, le Syndicat peut accompagner les collègues dans leur invocation du droit, pour unir le personnel derrière un système de valeur auquel il croit tellement qu’il entend se l’appliquer à lui-même. « Sachent donc ceux qui l’ignorent, sachent les ennemis de Dieu et du genre humain, quelque nom qu’ils prennent, qu’entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Ce n’est pas Gandalf-le-Gris qui le dit, mais le père Henri Lacordaire, à la chaire de Notre Dame de Paris, en 1848, dans un discours fondateur du catholicisme social[4], l’une des sources intellectuelles du mouvement solidariste, dont l’un des disciples, Albert Thomas, fut notre premier Directeur Général.
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[1] Erasme, adage N° 3197, dans le catalogue en ligne publié par l’université de Leiden
[2] Naomie Klein, la Stratégie du Choc (the Shock Doctrine), 2007. https://resumedelivres.com/resume-de-la-strategie-du-choc-la-montee-du-capitalisme-des-catastrophes-par-naomi-klein/
[3] Sam Garnegie à Frodon Saquet, Le Seigneur des anneaux, les deux tours.
[4] https://fondamentaux.org/2011/henri-dominique-lacordaire-du-double-travail-de-lhomme/