Comme d’autres Organisations Internationales, l’OIT n’échappe pas aux essais cliniques de gestions des ressources humaines. Le dernier en date, le « lean management » qui a été instauré avec le « Business Process Review », est loin de tenir ses promesses. Au final, c’est le personnel qui paie les frais de cette méthode controversée. Explications…
Avant, en matière de structure organisationnelle dans une entreprise, les choses étaient relativement claires, loin d’être parfaites certes, mais claires. Chacun était à sa place dans la pyramide : les chefs en haut, les autres, en bas, par strates plus ou moins régulières. Le taylorisme dans sa pure splendeur qui a d’ailleurs donné naissance à bien des mouvements ouvriers.
Mais ça, comme on dit, c’était avant. C’était sans compter des décades de théories en gestion des ressources humaines, toutes plus inventives les unes que les autres afin d’améliorer le bien-être du travailleur. Notre Organisation, durant les 25 dernières années, a fait office de laboratoire pour tester ces belles théories, un terrain d’expérience fort lucratif pour les quelques dizaines de compagnies se partageant le marché mondial de la « santé organisationnelle ». Tout y est d’ailleurs passé : gestion horizontale, management participatif etc. etc.
Il y a cinq ans, le vent de la réforme ayant à nouveau soufflé sur l’OIT, cette dernière ne pouvait pas passer à côté de LA méthode en vogue dont la compagnie McKinsey est la fervente avocate : « Le lean management ». En français, la gestion maigre.
WOuahouh !
Kesaco ?
Cours de vulgarisation flash:
Le « lean management » est un mode d’amélioration continue de l’organisation du travail dont les travailleurs sont les propres artisans. Les améliorations viennent donc toutes des travailleurs avec le support discret des managers. Ce type de gestion organisationnelle est essentiellement axé sur le respect du client et du salarié et a souvent été montré en exemple dans des entreprises telles que Toyota.
C’est le schéma de la pyramide inversée :
Les succès engendrés par ce nouveau modèle organisationnel – ayant peut-être fait leurs preuves dans un secteur industriel privé dans lequel le profit est l’objectif prioritaire et où toute amélioration dans les processus de fabrication devient déterminante en termes de gains de productivité et de réduction des coûts – n’ont pas tardé à encourager les marchands de bonheur professionnel que ce sont les grandes compagnies de consultance d’entreprise. Le marché potentiel juteux a conduit ces compagnies à vouloir adapter cette nouvelle forme de management dans toutes sortes d’entreprises de service et notamment celles du service public – ou comment faire rentrer un carré dans un rond.
En soit, vouloir le bonheur de ses employés n’est pas répréhensible et cela serait même la meilleure des raisons de vouloir mettre en place ce type de système. Cependant, la perversité du système se cache dans l’usage et la présentation qu’en font les dirigeants d’entreprises ou d’organisations. En effet, ceux-ci ne retiendront de cette louable initiative que les volets « gains de productivité » et « réduction des coûts », qu’ils cacheront à l’intérieur de chevaux de Troie (simplification des processus administratifs, santé organisationnelle) et l’enroberont d’un vague discours sur l’écoute des salariés au moyen d’enquêtes de satisfaction régulières et de tableaux de bord quotidiens (les fameux « huddles »).
Après être passé à la moulinette du « lean management » sur une période de plus de trois ans, où en est-on au BIT en termes de simplification des processus administratifs ?
On remplit toujours son formulaire de remboursement de caisse maladie à la main ou de manière électronique avant impression, les autorisations de voyager sont toujours un calvaire pour celui qui part en mission, il n’existe toujours pas de fichier central des fonctionnaires pour lier des opérations simples telles que leur recrutement et leurs aspirations de carrière et de mobilité, les formulaires pour commander du mobilier, un téléphone ou un pc sont toujours aussi obscures et l’interface du nouveau système d’IGDS n’est plus capable d’offrir une navigation dans les trois langues officielles de l’organisation. La moitié des fonctionnaires ne peut plus compter obtenir un service avant 10h puisque son autre moitié – tous les départements administratifs chargés de les délivrer qui sont passés par le BPR – sont en réunion pour savoir ce qu’ils vont faire de leur journée – encore les « huddles ».
Ce n’est certes pas la première fois que l’OIT, à coup de centaines de milliers de dollars, aura tenté d’améliorer sa bureaucratie sans de véritable succès tangibles et mesurables mais ce qui est beaucoup plus inquiétant, ce sont les résultats en termes de réduction et de transformation de la main d’œuvre de l’Organisation malgré l’assurance imperturbable de la haute direction que tel ne serait pas le cas.
Le seul résultat concret que le Syndicat a pu identifier jusqu’à maintenant est le suivant :
C’est donc à ne plus rien y comprendre. On veut simplifier ou compliquer le système ?
Il s’avère que la vie de l’entreprise est un éternel recommencement et que certaines leçons du passé n’ont pas encore été tirées. Même Frederick Winslow Taylor, déjà ironiquement en 1911 dans son “Principles of Scientific Management”, avertissait des dangers de sa propre méthode: « When, however, the elements of this mechanism, such as time study, functional foremanship, etc., are used without being accompanied by the true philosophy of management, the results are in many cases disastrous. And, unfortunately, even when men who are thoroughly in sympathy with the principles of scientific management undertake to change too rapidly from the old type to the new, without heeding the warnings of those who have had years of experience in making this change, they frequently meet with serious troubles, and sometimes with strikes, followed by failure.”